Diplômé de l'Université d'Abomey Calavi en Philosophie Théon Tuyisabe possède une Spécialisation en Sciences du Mariage et de la Famille. Il est Professeur dans plusieurs universities privées de Bujumbura |
1. Découvrir le sens du mot vérité
Le mot vérité, quoi que courant sur les lèvres de chacun de nous, ne se livre pas facilement et unanimement à notre compréhension. Parfois il nous paraît flou, abstrait et sans objet concret qu’il signifie.
D’après la sagesse latine, une des sources de la philosophie après la sagesse grecque, la vérité est définie comme l’adequatio rei. C’est la conformité de la pensée à l’idée que j’ai de la réalité que je vois et que j’appréhende.
Ceci renvoie à ce qui est, à l’être, au logos qui n’est rien d’autre que ce que Jean appelle le Verbe dans la Bible. Ce dernier introduit son évangile en disant : ﻉη αλκέ έη ο λογοϛ ou « Au commencement était le Verbe ».
Ce Verbe qu’il nous annonce s’est révélé en Jésus, le christ comme Messie tant attendu; qui par ailleurs s’est nommé lui-même la Vérité, le chemin et la vie. Chez les chrétiens, Jésus est la Vérité. Et, étant donné que Jésus est Dieu pour eux; Donc la Vérité c’est Dieu.
Une équation mathématique s’annonce donc, l’Etre, le Logos, le Verbe et la Vérité sont une et une seule chose. Par verbe, nous entendons aussi le Discours.
Le discours véridique, ou le discours de vérité, c’est justement ce que les sophistes ont ignoré dans l’antiquité grec. Il a fallu Socrate pour revenir sur la cohérence entre le discours et la Vérité. La recherche de la vérité chère aux philosophes est une action salvifique. C’est la même mission des théologiens qui trouvent la Vérité en la personne de Jésus. La vérité est donc vivante, nous la contemplons avec nos yeux spirituels comme une lumière qui jaillit de la personne de Jésus.
La théologie et la philosophie font d’ailleurs bon ménage, de manière à faire dire à Saint Thomas d’Aquin que la philosophie est la servante de la Théologie. Cette Vérité théologique révélé en Jésus n’est donc pas contraire à la Vérité objective que Platon a placé dans le monde des idées.
Bien entendu, pour appréhender cette vérité avec grand « V », il faux vaincre la subjectivité du monde sensible qui nous montre l’image de la vérité dans ses multiples facettes.
Dans la réalité des faits, nous faisons face à la vérité avec petit « v », et l’honnêteté intellectuelle nous pousserait donc à parler des vérités, plutôt que de la Vérité car cette dernière est inaccessible dans ce monde.
Il y a les vérités. Nous comprenons facilement comment l’histoire burundaise se présente en vérité des Buhutu, en vérité des batutsi, en vérité des baganwa ou des batwa sans parler aujourd’hui de la vérité selon tel ou telle autre tendance politique.
Ce qui est dramatique est que la vérité dont il s’agit ici risque d’être une arme contre l’autre, au lieu d’être un élément rassembleur ; ce que tout le monde désire connaître. Cette vérité qui venge, qui ridiculise, qui condamne ou tout simplement qui cherche du mal pour l’autre n’est pas Vérité.
Le Burundais a soif de la vérité, mais, laquelle et pourquoi ?
Plus d’un auteur burundais qui ont déjà écrit sur l’histoire du Burundi et parmi eux, certains ont donné titre à leurs ouvrages : « La vérité sur le Burundi ». Quel titre ? Qui connaît mieux la vérité sur l’histoire du Burundi ?
2. La vérité sur le Burundi
Notre pays, le Burundi est riche d’histoire. De NTARE RUSHATSI à Pierre NKURUNZIZA, tant d’événements se sont passés. Nos pères nous ont toujours souhaité un Burundi-nation, un vœu de RWAGASORE, NDADAYE et autres, mais, au nom de la vérité, nous pouvons nous demander si ce Burundi a toujours été et est toujours une nation.
Selon la définition très souvent évoquée, la Nation apparaît comme une communauté naturelle, du moins comme une communauté résultant de l’Histoire, reconnue par chacun de ses membres. Il va de soi qu’à chaque fois que nous avons failli à notre devoir de sauvegarder notre unité, le Burundi a cessé d’être une nation.
Chaque fois que nous tentons de rechercher de la vérité sur le Burundi, chaque fois que nous nous retrouvons unanimement sur les faits historiques qui ont marqué le Burundi, nous sommes en train de reconstruire notre nation. L’idée de nation va de paire avec celle de l’unité. Et pour consolider l’unité dans la diversité, il faut justement s’appuyer sur la vérité.
Ainsi, la recherche de la vérité au Burundi est une nécessité, voire même un devoir. C’est d’ailleurs un vœu exprimé à Arusha au protocole I sur la nature du conflit burundais, les problèmes de génocide et d’exclusion et leurs solutions. Au point 14, il est dit qu’« Il est crée une commission nationale dénommée commission Nationale pour la Vérité et la Réconciliation ». Aujourd’hui, nous appelons cette commission CVR, c’est-à-dire Commission-Vérité-Réconciliation.
Dans ces accords d’Arusha, il est précisé que cette commission a quatre missions :
a) Enquêter pour faire la lumière et établir la vérité sur les actes de violence grave commis au cours des conflits cycliques qui ont endeuillé le Burundi de l’indépendance à la date de la signature de l’accord
b) Qualifier les crimes et établir les responsabilités ainsi que l’identité des coupables et des victimes
c) Arbitrer et réconcilier. A cette fin, au terme de l’enquête, la commission arrête ou propose aux institutions compétentes des mesures susceptibles de promouvoir la réconciliation et le pardon
d) Clarifier l’histoire en montant aussi loin que possible pour éclairer le peuple burundais sur son passé
3. De la culture du mensonge à la culture de la Vérité au Burundi
Dès la constitution du royaume du Burundi, une tradition nous a toujours fait croire que le roi naissait avec de la semence dans les mains. Quel mensonge d’Etat. Aujourd’hui on l’appellerait secret d’état mais il n’incarne pas moins un mensonge grossier sur lequel tout le royaume du Burundi s’est assis au risque d’assoir la culture du mensonge.
Des adages allant dans ce sens du mensonge toléré ont alors été depuis lors acceptés comme « uwutabeshe ntasumira umwana », « ikinyoma c’umukuru gisasigwa indava » et autres. Il est vrai, il n’y a pas de pays sans secret d’Etat. Mais, derrière ce secret, à qui profite cette détention de la Vérité ?
La culture du mensonge a été au Burundi un fait accepté avec humour, ironie ou mesquinerie et nous a plongé malheureusement petit à petit dans une obscurité où nous sommes toujours et continuons à payer (ses) le prix.
Si la culture du mensonge est l’autre nom de l’obscurité, la culture de la vérité est l’autre nom de la lumière. Chez les biblistes, le mensonge est la spécialité du malin, du diable ou du serpent caractérisé par deux langues. La langue qui dit le mensonge et la langue qui dit la vérité.
La confusion du menteur n’apparaît pas seulement sur les langues, mais aussi un regard fuyant, une expression incohérente et une instabilité généralisée. Le menteur vit dans la peur, dans l’incertitude, prêt à tout. Celui qui est dans le mensonge est capable de tout : faire le bien ou le mal. NTACO YERA
Face au mensonge, la Vérité vient donc comme une assurance, une stabilité, une clarté qui inspire admiration. La vérité est une thérapie. Elle sauve, elle soigne.
4. La vérité pour une thérapie communautaire au Burundi
Le Burundi, malade depuis les crises de 1965, 1972, 1988, 1993 …a grandement besoin d’une thérapie. Pour guérir, il faut naturellement reconnaître d’abord sa maladie. Et par cette exposé, j’en profite pour vous rappeler la maladie dont souffre les Burundais, c’est le mensonge.
Il nous sera impossible d’évoluer tant que nous nous plaisons dans le mensonge. La culture du mensonge qui gangrène les habitudes du burundais est un frein au développement et une thérapie de groupe (thérapie communautaire) est plus que nécessaire.
L’âme du murundi longtemps blessée a besoin du soulagement. Elle a besoin d’une cure de vérité pour réparer la cicatrice de la haine ethnique, régionale ou politique qui a été nourrie par le mensonge.
La mise en place de la CVR au Burundi ne devrait pas être une question de polémiques politiciennes. Découvrir la vérité n’est pas une affaire de temps ou d’espace. Si vous ne voulez pas la dire maintenant, tôt ou tard, elle viendra. Et si vous ne voulez pas la dire vous-même, d’autres la diront à votre place. Qu’elle soit dite aujourd’hui ou demain, par vous ou par quelqu’un d’autre, elle reste la vérité et sa valeur ne change pas.
Puisse la communauté burundaise guérir de ses blessures par la découverte de la vérité
Théon TUYISABE
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